DES CAMPS DANS LA VILLE, ESSAI D'HISTOIRE URBAINE

Loran Hoarau - Historien

Au commencement...

Etienne Regnault quitte Saint-Paul et transfère sa capitale à Saint-Denis en 1669. Il y fixe sa résidence et fait bâtir une chapelle. Il déclare que c’est « l’endroit où il est nécessaire de commencer, continuer, la première demeure du gouverneur [...] et y faire magasin jusqu’à ce qu’on soit en état et suffisamment fort pour faire d’autres entreprises. ».
Depuis cette époque, la ville de Saint-Denis est une machine à explorer le temps et l’espace. À l’exception du Boulevard Sud, les rues en place dès le XVIIIème siècle sont toujours les mêmes qu’aujourd’hui. On peut alors diviser Saint-Denis en trois séquences :

La ville-barachois : un outil pour la Compagnie des Indes
[Square Labourdonnais – Monument de la Victoire]

A partir de 1735, Saint-Denis se structure dans un espace géographique contraint délimité par la rivière Saint-Denis, la ravine du Butor et la ravine Ruisseau des Noirs.
La ville suit un plan en damier qui s’étend à l’Est vers la ravine du Butor, après la Rue des Limites, le long du Grand Chemin (actuelle rue du Maréchal Leclerc). Mahé de La Bourdonnais l’aménage pour les besoins de la navigation en l’équipant d’un pont-volant placé près de la rivière Saint-Denis dont l’embouchure forme en se jetant dans la mer un barachois, une passe qui permet à de petits bateaux de se mettre à quai. Le bas de la ville devient une zone portuaire et marchande.

La ville néoclassique : Une zone d’habitat constituée de villas
[Hôtel de ville / Jardin de l’État]

La villa néoclassique apparaît au milieu du XIXème siècle, période de pleine croissance économique liée au développement de l’industrie sucrière.
Ces villas bourgeoises, décorées de colonnes, comportent un axe de symétrie en façade et dans le jardin jusqu’à la rue. Elles s’agrémentent d’une varangue (ouverte ou fermée), espace de réception et de transition entre la cour et l’intérieur. Les pièces sont aménagées en enfilade, de manière à rafraîchir les espaces de vie. Les annexes sont situées dans l’arrière-cour : godon (réserve à nourriture), calbanon (logement des domestiques), cuisine, poulailler. Le jardin, toujours situé devant la maison, s’organise sur un modèle créolisé mêlant l’ordre dans le désordre. Des guétalis s’installent aux angles de ces cours-jardins.

La ville des camps : des camps pour les Esclaves et les Engagés
[Des rampes Ozoux au Butor]

Des camps regroupant des Esclaves sont installés dans une vaste zone démarrant du haut des rampes Ozoux, s’étendant autour du jardin de l’Etat, longeant la ravine Ruisseau des Noirs pour aller jusqu’au Camp Calixte.
Les camps constituent un espace structuré et seront utilisés de la période Esclavagiste jusqu’à la période Engagiste (1848 – 1938). Ils se situent dans des zones moins favorables (risque d’inondation, paludisme) mais à proximité de zones d’écoulement d’eau répondant aux besoins du quotidien.
De 1974 à 1977, des travaux sont lancés pour l’endiguement des bras de ravines alimentant le Ruisseau des Noirs. L’ensemble est dirigé vers la Ravine Patates à Durand dont l’endiguement s’achève en décembre 1977. L’impact sur les camps est important car il sécurise une zone qui a entamé sa transition vers le logement social.
L’endiguement agit également sur la salubrité générale de la zone, permettant de lutter plus efficacement contre les maladies liées aux moustiques. Le long du Ruisseau des Noirs, on assiste alors au passage des camps à l’habitat social, schéma dans lequel se trouvera progressivement l’intégralité des camps de Saint-Denis.
L’aménagement progressif du Boulevard Sud de 1985 à 2008 supprimera les dernières poches de cet forme d’habitat à Saint-Denis.
La toponymie permet de continuer à signaler l’existence de ces camps aujourd’hui dans la ville.

Cartographier les camps

Pour construire une représentation des camps, nous sommes partis des anciennes cartes de Saint-Denis en nous arrêtant au début du XXème siècle. L’objectif était de repérer les cartes signalant des camps et de les replacer dans la géographie de la ville d’aujourd’hui.
La toponymie change parfois en fonction des époques. La date de la carte permet de les localiser dans la période Esclavagiste (avant 1848) ou dans la période Engagiste (1848-1938).
Nous citons ici l’année de réalisation des cartes sources et leur auteur principal, information reprise dans la liste des camps :

  • 1779 : Selhausen
  • 1822 : Diomat
  • 1842 : Roux
  • 1847 : D’Hastrel de Rivedoux
  • 1860 : A partir de Roussin
  • 1876 et 1900 : Jacob de Cordemoy

LISTE DES CAMPS

CAMP DES NOIRS DU ROI

ou CAMPS DES NOIRS DE L’ÉTAT

Signalé en 1808, 1820 et 1822

CAMP OZOUX

Signalé en 1860 et en 1900

CAMP DES GENS LIBRES

Signalé en 1847

CAMP CALIXTE

Signalé en 1876 et 1900

CAMP GIRON

Signalé en 1860, 1876 et 1900

CAMP DES LATANIERS

Signalé en 1860, 1876 et 1900

CAMP JACQUOT

Signalé en 1876 et 1900

CAMP DES NOIRS DE COMMUNE

ou CAMP DES TRAVAILLEURS

Signalé en 1808 et en 1861

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